Gardénias, geckos et la sixième extinction
Chaque jour ici, je suis surprise et charmée par une nouvelle plante, fleur, graine ou animal. Figues, olives, figues de barbarie, geckos, hérons, tamias rouges, fleurs de la passion, aubépines… Je peux sentir la biodiversité de cet endroit. Des odeurs épaisses et piquantes de pins, de roses et de cèdres me frappent lorsque je marche dans le parc et dans les rues, et les odeurs de gardénia suffisent à faire pâlir une personne. Ce sentiment d’abondance de la vie végétale et animale doit être dû en partie au fait que cet écosystème est nouveau pour moi, mais la quantité et la diversité des espèces ici sont frappantes. Il s’avère que cette partie de la France est l’un des points chauds de la biodiversité mondiale, avec l’ensemble du bassin méditerranéen, l’Amazonie et Madagascar.
Arbutus unedo (arbusier ou fraisier) est un arbuste funky et coloré orné de boules oranges et de clochettes blanches.
Mais sous cette vie grouillante, pétiliante, enveloppante se cache un déclin mondial vertigineux de la biodiversité. Je le savais, je le sais, mais certaines lectures récentes l’ont mis sous un jour nouveau.
La Terre et les Hommes est une compilation d’œuvres du grand Hubert Reeves, un astrophysicien qui a un pied au Québec et l’autre en France. Je suis tombée sur ce livre lors d’un de mes pèlerinages à la bibliothèque municipale de Sète (ou Médiathèque, comme on les appelle ici – ce qui me fait craindre que la fin des livres soit proche…). Je dois admettre que je suis une lectrice impatient de descriptions de paysages – dans les romans, je parcoure ces parties pour arriver à l’action. Mais il y a quelque chose de si authentique, de si naïf, dans la façon dont il décrit son village bien-aimé de Malicorne en Bourgogne (France) qui m’accroche:
Dans cette campagne grasse, verdoyante, légèrement vallonnée, on peut marcher des heures sans rencontrer une seule voiture. C’est un lieu où il faut enlever sa montre et s’insérer dans le rythme de la nature dont la vie moderne nous coupe si cruellement. L’odeur des fleurs d’acacias ou de tilleuls y marque le printemps et l’apparition des mauves colchiques dans les prés humides nous annonce, mine de rien, que l’automne est déjà là.
Beau, non ? Ça me donne envie de me terrer à Malicorne pour une semaine (je l’ai googlemappé : 4 heures de route, 31 heures de vélo, ou 3 trains régionaux, s’ils ne font pas la grève, pour m’y rendre…). L’appréciation de la poésie de la nature va de pair avec une connaissance scientifique large et profonde de l’œuvre de cet homme. Il parcourt l’histoire de la compréhension humaine du monde, des mathématiques à la physique, en passant par la chimie, la biologie et la psychologie, comme si nous allions faire une promenade dans le parc. Tout aussi bien expliquée est l’histoire de nos innombrables impacts terribles sur la planète – notamment la perte de biodiversité.
Dans le chef-d’œuvre populaire Sapiens, Yuval Noah Harari décrit trois « vagues » d’extinction d’origine humaine. La première vague a accompagné la propagation des fourragers (avec la Révolution Cognitive il y a 70 000 ans) ; la deuxième avec l’avènement des agriculteurs, et la troisième avec l’activité industrielle. Bien que ces vagues se soient produites à différents moments sur la planète, il est clair que partout où l’homo sapiens s’est installé dans une nouvelle partie du monde, des extinctions massives ont suivi. Bien avant d’inventer la roue, les outils d’écriture ou les outils en fer, explique Harari, les humains ont conduit environ la moitié des grandes bêtes de la planète à l’extinction.
Pendant la cinquième grande extinction il y a 65 millions d’années, rappelle Reeves, une météorite géante a frappé le Yucatan au Mexique. Elle a conduit à la disparition d’environ 76 % de toutes les espèces, y compris tous les dinosaures terrestres. Nous sommes maintenant au milieu de la sixième grande extinction, qui fait partie d’une période géologique appelée Holocène, qui a commencé après la fin de la dernière grande période glaciaire, il y a environ 12 000 ans. Le déclin dramatique de la biodiversité correspond à la croissance, à la propagation et à l’impact très rapides de l’espèce humaine – à tel point qu’on en vient à l’appeler Anthropocène. Une étude récente publiée dans les Proceedings of the National Academies of Science a révélé qu’entre 1900 et 2015, près de la moitié des 177 espèces de mammifères étudiées ont perdu plus de 80 % de leur habitat — une véritable extermination biologique.
The extinct Pig-footed bandicoot
from Mammals of Australia
Le 2019 Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services, publié par le Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, estime que quelque 1 million d’espèces végétales et animales risquent de disparaître sous les effets anthropogènes. Ces baisses sont, bien sûr, dues à la croissance continue de la population humaine et à une consommation élevée.
Dans l’un de mes articles préférés de tous les temps, Leverage Points to Intervene in a System de Donella Meadows, elle énumère les points de levier pour intervenir dans un système par ordre de puissance décroissant. Troisièmement, en partant du sommet, juste derrière le changement de paradigmes et leur transcendance, il y a le changement des objectifs de haut niveau du système. Par exemple, dit-elle, « dans les écosystèmes, l’objectif de maintenir l’équilibre et l’évolution des populations doit l’emporter sur l’objectif de chaque population de se reproduire sans limite et de contrôler toute la base de ressources ». C’est pourquoi, dans la liste mondiale des quatre-vingts principales actions climatiques de Drawdown, l’éducation des filles et la planification familiale sont les solutions numéro 6 et 7, en reconnaissance de l’impact que l’équilibre des populations humaines a sur le bien-être planétaire.
La question du million d’euros est comment changer les objectifs de haut niveau du système…